Au coeur de la cité, la prison de Pont-l’Évêque est totalement restée dans son jus, telle qu’elle fonctionna de 1823 à 1953. nous étions 6 à la visiter pendant les vacances scolaires dernières. Quatre cellules, des pièces symétriques d’environ 25 m2 avec fenêtres grillagées, deux pour les hommes, deux pour les femmes, le bureau des avocats, le parloir, les couloirs, les escaliers métalliques, la chapelle aux murs défraîchis, le logement du gardien-chef … Comme un décor de cinéma grandeur nature à l’intérieur de ce bâtiment en briques rouges, à l’architecture néoclassique du début XIXe. « En consultant les livres d’écrou, nous arrivons à une moyenne de quatorze détenus au début pour passer à une centaine en 1897. Les hommes couchaient trois par trois sur des galetas. » explique la guide.
La légende de la JOYEUSE PRISON
Une histoire dans l’histoire? qui fit couler beaucoup d’encre dans les années 1950. L’incroyable gestion du gardien-chef pontépiscopien régale alors les gazettes, intéresse les cinéastes. André Berthomieu en tire un film en 1956. Il devait s’appeler À la bonne franquette. Le titre retenu est tout bonnement La Joyeuse Prison. Darry Cowl joue l’avocat, c’est l’un des premiers rôles. Michel Simon incarne le personnage clé de cette histoire vraie. Fernand Billa, alors gardien-chef de la prison de Pont-l’Évêque, applique le principe du « préjugé favorable » à tout nouveau pensionnaire. Grand précurseur de la libération conditionnelle, Billa préfère se faire aimer que de se faire craindre. La maison d’arrêt se transforme en une pension folklorique. Les détenus utilisent librement le téléphone, tiennent les comptes, reçoivent épouses et petites amies « à domicile », s’offrent gueuletons et permissions de jour comme de nuit, s’autodélivrent des certificats de bonne moralité. Chaque matin, l’un d’eux va prendre son petit crème au comptoir du café d’en face. Un autre va même jusqu’à réparer les alarmes de la prison et refaire l’électricité de la gendarmerie voisine ! Un énorme scandale judiciaire que jugera la cour d’assises du Calvados durant l’automne 1955. « Un des grands moments de la vie judiciaire française », se souvient Jacques Lebailly, alors jeune journaliste à Ouest-France. Dans le box des accusés, sept détenus et pas des enfants de choeur ! Parmi eux, René La Canne – René Girier de son vrai nom – star du braquage haut de gamme, champion homologué de l’évasion, dix-sept fois en huit ans. On lui doit, entre autres, un vol de 65 millions de francs chez le bijoutier Van Cleef ou le casse du coffre-fort du président du conseil Édouard Daladier. Appréhendé après le cambriolage d’une bijouterie deauvillaise, il est incarcéré en mars 1949 à la prison de Pont-l’Évêque. Et se lie d’amitié avec le gardien-chef… avant de s’évader en escaladant facilement le mur d’enceinte. « il scia les barreaux, escalada le mur d’enceinte, traversa la place, salua les gendarmes au passage et s’engouffra dans une voiture qui l’attendait. » Pourquoi s’évader de cette façon quand la porte est grande ouverte ? Pour ne pas faillir à sa renommée ? Non, René la Canne s’est lié d’amitié avec le surveillant-chef, « il ne veut pas que son évasion l’embarrasse, lui qui a réussi le tour de force de transformer ce havre carcéral en gigantesque Guignol. » « Aux assises du Calvados,poursuit Jacques Lebailly, l’affaire se termina par… un acquittement général sous les applaudissements du public. Selon l’avocat général, si l’on peut admettre que le désir des prisonniers est de prendre le large, c’est à l’Administration de savoir s’y opposer ! » Retiré dans la région de Reims, René La Canne, décédé en janvier 2000, tiendra un commerce de jeux électroniques où « il embauchera des jeunes à problèmes ». Quant au gardien, il fut révoqué« pour négligence dans le service ».Tout cela ne fut pas du cinéma.
Propriété de la mairie depuis 2005, la prison de Pont L’Evêque est visitable les mercredis et samedis des vacances scolaires de notre zone à 11h.
Reférences: le guidage de la directrice de l’espace culturel des Dominicaines / article ouest-france / et pontleveque.fr
> Pour aller plus loin sur René la Canne: la guide nous conseille le livre René La Canne, de Roger Borniche, chez Fayard